Prise en charge de l’hyperkaliémie chez les patients atteints de maladie rénale chronique
L’hyperkaliémie (HK) est inhérente à la maladie rénale chronique (MRC) à partir d’un certain stade, amplifiée par plusieurs traitements indispensables pour ralentir son évolution et celle d’une insuffisance cardiaque (IC) souvent associée. L’enjeu majeur du traitement de l’HK est de permettre la poursuite de ces traitements essentiels de la MRC.
Les molécules échangeuses d’ions actuellement disponibles pour traiter l’HK sont efficaces, mais leurs inconvénients rendent très problématique l’observance des patients. De nouvelles molécules, efficaces et bien tolérées, sont très attendues tant par les médecins que par les patients.
Patients à risque d’hyperkaliémie
Deux principales situations contribuent au développement d’une HK. Dans la MRC, en l’absence d’autres causes, notamment médicamenteuses,
le rein conserve sa capacité à éliminer le potassium assez longtemps. Mais, à partir du stade IV (DFGe < 30 mL/min/1,73 m2, soit – de 30 % de la fonction rénale attendue), un nombre de plus en plus en plus important de patients présentent une tendance à l’HK. Ce problème est largement amplifié par la prescription d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (iSRAA), pour ralentir l’évolution de la MRC. Et, de fait,
dès le stade III de la MRC, si le patient est sous iSRAA, il existe un risque accru d’HK. De plus, toutes les recommandations pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, et maintenant pour le traitement de la maladie rénale chronique du diabétique, préconisent de réaliser un double blocage du SRAA avec un IEC ou un ARA2 ET un antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, double blocage particulièrement à risque d’HK.
Enfin, il faut signaler que le diabète, à lui seul, expose à un sur-risque de développer une HK par rapport à un sujet non diabétique ayant la même fonction rénale et traité par les mêmes médicaments. D’autres facteurs, moins importants, notamment les bêta-bloquants ou encore l’acidose, participent également au développement d’une HK.
Hyper et hypokaliémie sont dangereuses
L’HK, comme l’hypokaliémie, peuvent être mortelles, ce qui explique que le potassium doit être maintenu dans une fourchette étroite entre
4 et 5 mmol/L de kaliémie. L’HK peut en effet provoquer des troubles de la conduction cardiaque, avec bloc auriculo-ventriculaire, voire asystolie
et arrêt cardiaque non choquable.
L’hypokaliémie produit à l’inverse une hyperexcitabilité du cœur, donc expose à des troubles du rythme cardiaque : tachycardie ventriculaire puis
par fibrillation ventriculaire, qui est un arrêt cardiaque choquable. Il est donc important de traiter l’HK, mais de ne pas la surtraiter.
Les objectifs de la prise en charge de l’hyperkaliémie
Le premier objectif est de ne pas arrêter le traitement par iSRAA malgré l’hyperkaliémie. C’est l’enjeu majeur, car ces médicaments ralentissent l’évolution de la MRC et diminuent la morbi-mortalité cardiovasculaire. Tout l’enjeu est de mettre en place une stratégie qui va permettre de poursuivre ces traitements à dose maximale : si on diminue les doses (pour se donner bonne conscience), on induit déjà un sur-risque de mortalité cardiovasculaire et de progression de la MRC.
Cette stratégie séquentielle doit comporter plusieurs étapes :
- S’il existe une congestion résiduelle, que le patient est un peu hyperhydraté et hypertendu, optimiser la volémie avec des diurétiques de l’anse pour équilibrer la pression artérielle, diminuer l’albuminurie et cela fera aussi baisser le potassium.
- Si, malgré ces traitements, le patient présente une acidose métabolique, il faut la corriger par la prescription de bicarbonate de sodium, qui a, de plus, un effet bénéfique sur le potassium (entrée du potassium dans les cellules, ce qui contribue à baisser la kaliémie).
- S’il persiste une hyperkaliémie, la prescription d’une résine échangeuse d’ions s’impose, pour bloquer l’absorption intestinale de potassium, et permettre de continuer le traitement par iSRAA à dose maximale tolérée.
Traitement de l’hyperkaliémie : les résines échangeuses d’ions
Deux résines échangeuses d’ions sont actuellement disponibles en France (polystyrène sulfonate de sodium ou de calcium). Outre le fait qu’elles sont assez lentement efficaces (mais ce critère n’est pas très important dans les maladies chroniques), elles sont très mal tolérées pour deux raisons : elles ont un goût épouvantable et entrainent des troubles digestifs à type de diarrhée, constipation, exceptionnellement de nécrose colique. Ces deux facteurs expliquent la très mauvaise observance de tels traitements. C’est pourquoi, médecins et patients attendent la mise sur le marché de nouveaux chélateurs de potassium, notamment une nouvelle résine échangeuse de potassium contre du sodium, qui, selon les études cliniques, a un goût neutre et ne présente pas plus d’effets indésirables digestifs que le placebo. Ces nouvelles molécules vont représenter une avancée majeure car, indirectement, elles vont participer à la néphro et cardioprotection, en permettant de poursuivre les iSRAA à dose maximale tolérée.
Chélateur de potassium contre le sodium ou contre le calcium ?
Aujourd’hui, très majoritairement, les néphrologues utilisent une résine échangeuse d’ions potassium-sodium, sans doute en partie par habitude, mais aussi parce que cette pratique n’expose pas les patients à une charge calcique excessive qui pourrait favoriser des calcifications vasculaires. Sodium ou calcium ? Il s’agit actuellement d’une controverse qui va nécessiter la mise en place d’études complémentaires pour trancher.
Propos recueillis auprès du professeur Vincent Esnault, service de néphrologie –
transplantation – dialyse ( hôpital Pasteur, Nice), par le docteur Catherine Bouix.