Dépistage et diagnostic de la maladie rénale chronique en pratique
Le dépistage et le diagnostic de la maladie rénale chronique (MRC) sont des étapes essentielles dans sa prise en charge. Leur précocité conditionne le pronostic de la maladie, d’autant qu’il existe maintenant des traitements néphroprotecteurs efficaces pour éviter ou retarder l’évolution vers des stades ultimes nécessitant une suppléance rénale. À cet égard, le médecin généraliste est en première ligne.
Identifier les patients à risque
Il s’agit de la toute première étape. Dans la majorité des cas, les patients à risque sont les patients diabétiques et ceux atteints d’une maladie cardiovasculaire, notamment une hypertension artérielle (HTA) ancienne et mal équilibrée, mais aussi ceux ayant fait un AVC ou un syndrome coronarien aigu.
Dans l’interrogatoire, on n’oubliera pas de questionner les antécédents personnels (maladie rénale dans l’enfance, purpura rhumatoïde, infections urinaires à répétition…) et familiaux de maladie rénale, qui sont également des situations à risque de MRC.
C’est parfois le médecin du travail qui signale soit une HTA chez un sujet jeune, soit encore la présence de sang ou de protéines sur la bandelette urinaire, qu’il faudra investiguer.
Le diagnostic de MRC repose sur un double bilan sanguin et urinaire
L’examen sanguin devra systématiquement comporter la mesure du DFGe (selon la formule CKD EPI, la plus utilisée dans les laboratoires d’analyses médicales) en gardant à l’esprit qu’il existe une décroissance physiologique du DFGe après l’âge de 40 ans (1 ml/min/1,73 m2 par an environ). Ainsi, une valeur de 60 ml/min/1,73 m2 après 70 ans n’est donc pas toujours pathologique.
Le bilan urinaire comportera notamment la mesure de la protéinurie, de l’albuminurie et de la créatininurie, avec calcul du RAC (ration albuminurie/créatininurie). Un RAC < 30 mg/g est considéré comme normal.
À partir de ces deux examens, il est possible d’évaluer le stade d’évolution de la MRC (5 stades sont définis en fonction du DFGe) (tableau 1), ainsi que les catégories de risque de la progression de la MRC et la conduite à tenir en fonction de celles-ci (tableau 2) (1).
Pour les stades 1 et 2, il faut d’autres stigmates de maladie rénale pour parler de MRC (protéinurie, hématurie, etc.).
Tableau 1 – Stades de la MRC en fonction du DFGe
• Stade 1 : DFGe normal (≥ 90 mL/min/1,73 m2) • Stade 2 : DFGe de 60 à 89 mL/min/1,73 m2 • Stade 3a : DFGe de 45 à 59 mL/min/1,73 m2 • Stade 3b : DFGe de 30 à 44 mL/min/1,73 m2 • Stade 4 : DFGe de 15 à 29 mL/min/1,73 m2 • Stade 5 : DFGe < 15 mL/min/1,73 m2 |
Tableau 2 – Catégories de risque en fonction de la progression de la MRC (1)
À partir du stade 3b, il convient de prendre l’avis d’un néphrologue pour la prise en charge de la MRC. Dans les stades antérieurs, s’il n’existe pas de protéinurie et que la fonction rénale est stable, le recours à une consultation spécialisée n’est pas systématique.
Mais, dans tous les cas, le bilan initial sera complété par une échographie de l’appareil urinaire et par un bilan biologique de débrouillage comportant l’électrophorèse des protéines, les sérologies VIH, VHB et VHC, la glycémie et d’autres examens en fonction du contexte et des antécédents du patient.
De même, le médecin généraliste doit systématiquement traiter les facteurs de risque tels que l’HTA et le diabète.
Par ailleurs, certains résultats doivent alerter et nécessitent une prise en charge rapide, sans attendre un rendez-vous parfois éloigné de plusieurs mois chez le néphrologue (demander un rendez-vous en urgence au néphrologue) :
– une insuffisance rénale qui progresse rapidement ;
– un syndrome néphrotique ;
– un RAC égal ou supérieur 300 mg/g ;
– une gammapathie monoclonale découverte à l’électrophorèse des protéines.
Enfin, il est important de limiter voire supprimer tous les médicaments néphrotoxiques, essentiellement les AINS.
L’inhibiteur de la pompe à protons (IPP) prescrit est-il justifié ?
On estime que dans environ deux tiers des cas, les IPP sont prescrits de façon injustifiée, souvent commencés par nécessité, mais pas toujours arrêtés. Or, des études de cohorte montrent que plus les IPP sont pris longtemps et plus ils le sont à doses élevées chez un patient et moins celui-ci a de probabilité d’avoir une fonction rénale normale. Il faut donc toujours se poser la question de la justification d’une prescription d’IPP et le supprimer si elle n’est pas nécessaire (2).
Propos recueillis auprès du docteur Aurélie Hummel (service de néphrologie et de transplantation rénale, hôpital Necker-Enfants malades, Paris) par le docteur Catherine Bouix.
Références
1. D’après : de Boer IH, Khunti K, Sadusky T et al. Diabetes management in chronic kidney disease: a consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and Kidney Disease: Improving Global Outcomes (KDIGO). Diabetes Care. 2022;45(12):3075-90.
2. Lazarus B, Chen Y, Wilson FP et al. Proton pump inhibitor use and risk of chronic kidney disease. JAMA Intern Med. 2016; 176 (2): 238-46.