Néphropathie diabétique : mise à jour sur les piliers du traitement qui ralentissent sa progression
Cet article (1) argumente l’utilisation de médicaments pour protéger la dégradation de la fonction rénale.
La maladie rénale chronique (MRC) atteint 700 millions de personnes dans le monde et triple le risque de mortalité, toutes causes confondues, par rapport aux patients sans atteinte rénale. La MRC est aussi responsable d’une réduction de l’espérance de vie de 16 ans. Par ailleurs, la prévalence de la MRC chez les patients diabétiques a augmenté, passant de 19 % en 2000 à 29,7 % en 2015, avec une incidence qui passe de 22 % à 31 %, tandis que pour un quart des patients avec une MRC aux États-Unis l’origine est diabétique. Enfin, la prévalence du diabète ne cessant d’augmenter aujourd’hui, passant de 564 millions à une estimation de 783 millions en 2045, il est ainsi crucial de réduire sa survenue, car tous les pays n’ont pas accès aux modalités de suppléance et à la transplantation rénale, par exemple.
Définitions et physiopathologie de la MRC
Cette revue envisage les différentes causes de la MRC : modification de l’hémodynamique rénale, fibrose rénale progressive et inflammation.
Définitions
La définition de la MRC est basée sur une baisse du débit de filtration glomérulaire (DFG) inférieure à 60 ml/min/1,73 m² ou par la présence d’une albuminurie. La microalbuminurie est définie par une valeur supérieure à 30 mg/g et l’albuminurie persistante supérieure à 300 mg/24 h sur des mesures répétées. Il est rappelé qu’une protéinurie seule témoigne d’une atteinte rénale, quel que soit le DFG.
L’atteinte cardiovasculaire augmente pour des valeurs de DFG inférieures à 45 ml/min, d’où la nécessité de réduire la dégradation de la fonction rénale et le risque cardiovasculaire. Depuis les années 1990, les bloqueurs du système rénine-angiotensine ont démontré leur efficacité dans la réduction de la dégradation de la fonction rénale : un premier essai utilisant le captopril chez le diabétique de type 1 a montré qu’il réduisait la dégradation de la fonction rénale de 5 à 7 ml/min/an. Ultérieurement, d’autres essais avec les sartans l’ont confirmé.
Cependant, il est rappelé qu’il y a un risque résiduel de dégradation de la fonction rénale puisque le déclin annuel physiologique de la fonction rénale est estimé entre 0,7 et 0,9 ml/min/an.
Physiopathologie
Un chapitre entier est consacré à évoquer les mécanismes physiopathologiques à l’origine de la MRC. Il n’est pas possible de tous les évoquer ici et, d’ailleurs, la revue ne les évoque pas tous non plus.
Il est rappelé que des effets hémodynamiques sont le pivot du maintien de l’homéostasie du néphron et la cible des bloqueurs du système rénine-angiotensine qui bloquent la production d’angiotensine II et donc la sécrétion d’aldostérone.
Une altération des podocytes est également responsable d’une altération de la perméabilité de la barrière glomérulaire et représente l’un des mécanismes sous-jacents à l’apparition de l’albuminurie dans le diabète. Les bloqueurs du système rénine-angiotensine améliorent cette sélectivité.
Un changement de la balance tubulo-glomérulaire est également à l’origine de la néphropathie et est largement impliqué dans le mécanisme protecteur des inhibiteurs des SGLT2 (iSGLT2). En bloquant la réabsorption du glucose au niveau du tube proximal, les iSGLT2 améliorent la balance tubulo-glomérulaire et réduit la pression intraglomérulaire et l’hyperfiltration glomérulaire. Cependant, les auteurs admettent qu’en dessous de 45 ml/min de DFG, les mécanismes seraient différents et encore à documenter avec cette classe thérapeutique. Il est également rappelé que l’insulinorésistance, l’hyperglycémie et la dyslipidémie qui coexistent fréquemment dans le diabète peuvent avoir une action péjorative sur le rein via le stress oxydatif et des processus inflammatoires. Enfin, dans des modèles animaux, l’activation minéralocorticoïde aurait un effet délétère sur l’inflammation et la fibrose cardiaques et la classe des anti-minéralocorticoïdes pourrait agir en réduisant ces phénomènes. Ultérieurement, des essais de phase II ont montré que la finérénone, un anti-minéralocorticoïde non stéroïdien, réduit l’albuminurie dans la néphropathie diabétique. D’autres anti-minéralocorticoïdes non stéroïdiens comme l’esaxérénone (disponible au Japon) et l’apararénone ont aussi démontré cette baisse de l’albuminurie.
Comment traiter les patients ?
Les auteurs proposent, à l’instar de ce qui est fait dans l’insuffisance cardiaque, une stratégie en plusieurs étapes avec une addition des classes thérapeutiques, mais ils rappellent qu’aujourd’hui, cette stratégie n’est validée par aucun essai thérapeutique.
Pilier n° 1 : les bloqueurs du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion ou sartans)
Il a été montré que les bloqueurs du système rénine-angiotensine entraînent une réduction de 50 % du critère combiné rénal (dialyse, transplantation ou décès), qui serait indépendant de la pression artérielle. Cependant, leur impact sur le DFG reste modeste et il est considéré qu’il existe un risque résiduel de progression de la maladie rénale, avec un échappement du traitement, notamment sur le blocage de l’aldostérone.
Pilier n° 2 : les iSGLT2
Ceux-ci sont disponibles depuis janvier 2014 dans le monde et en France bien plus tardivement (pour rappel la dapagliflozine, l’empagliflozine et, depuis quelques semaines, la canagliflozine, cette dernière n’ayant pas d’autorisation de mise sur le marché [AMM] dans la maladie rénale, mais seulement dans le diabète de type 2 contrairement aux deux autres), avec un effet protecteur cardiovasculaire bien démontré. Les auteurs rappellent que, dans une méta-analyse des six premiers essais randomisés en double insu chez les patients diabétiques de type 2, une réduction de l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et de la progression de la MRC est démontrée.
Par la suite, trois essais pivots dans la MRC – CREDENCE, DECLARE et EMPA-KIDNEY – ont montré une réduction de l’ordre de 30 % de la progression de la MRC chez les patients avec ou sans diabète et avec une insuffisance rénale modérée à sévère et une albuminurie normale ou élevée. Il faut considérer que cette classe thérapeutique est évaluée en association avec les bloqueurs du système rénine-angiotensine et que la réduction du déclin de la filtration glomérulaire est de l’ordre de 30 % à 40 % en plus de ce qui est observé avec les bloqueurs du système rénine-angiotensine seuls.
Pilier n° 3 : les anti-minéralocorticoïdes non stéroïdiens
Cette classe n’est pas encore disponible en France et le seul qui a obtenu une AMM en Europe est la finérénone qui est en attente de prix.
La réduction observée de l’excrétion urinaire d’albumine est de l’ordre de 30 % et s’accompagne d’une diminution de la MRC et de la mortalité toutes causes confondues. Cette classe est utilisable en add-on des bloqueurs du système rénine-angiotensine dans les essais. La finérénone est le seul d’entre eux développé qui a obtenu une AMM aux États-Unis dans la réduction du risque cardio-rénal, alors que les autres molécules en développement l’ont dans la pression artérielle. En France, cette classe thérapeutique a une AMM dans le diabète de type 2 avec une MRC.
Deux essais complémentaires de phase III randomisés en double aveugle versus placebo incluant 13 000 patients diabétiques de type 2 montrent, en effet, une réduction d’un critère composite rénal de l’ordre de 40 % et de décès rénaux de 18 % par rapport au placebo. Les études chez le diabétique de type 1 restent en cours. Il est bien noté que les patients doivent être à la dose maximale tolérée de bloqueurs du système rénine-angiotensine. La tolérance est cependant à prendre en compte avec une incidence d’arrêt de traitement en lien avec une hyperkaliémie deux à trois fois plus élevée sous finérénone que sous placebo dans tous les essais : la Food and Drug Administration a autorisé l’utilisation de la finérénone pour des niveaux de potassium atteignant 5 mmol/l.
Pilier n° 4 : les analogues du GLP-1
Si cette classe thérapeutique a montré un bénéfice cardiovasculaire dans le diabète de type 2 au cours d’essais dont c’était le critère principal de jugement, le bénéfice rénal n’est en revanche suggéré que dans des études post hoc, avec une réduction de l’albuminurie de 24 % sur deux ans et une réduction du déclin du DFG de respectivement 0,87 et 0,26 ml/min/1,73 m² avec le sémaglutide et le liraglutide dans une étude qui regroupe SUSTAIN-6 et LEADER. Un autre analogue du GLP-1, qui n’est pas disponible en France, l’efpèglénatide, va dans le même sens. Une étude avec le sémaglutide, la FLOW study chez le diabétique de type 2 et la MRC, est en cours et les premiers résultats, non relatés dans cette revue antérieure et qui ont été communiqués en congrès, semblent prometteurs sur la préservation de la fonction rénale.
Alors, comment faire en pratique clinique ?
Il est ainsi conseillé d’utiliser un bloqueur du système rénine-angiotensine, inhibiteur de l’enzyme de conversionou sartan, à la dose maximale tolérée. Aucun choix n’est arbitré entre les deux classes. Cette titration doit avoir lieu avant d’introduire les classes supplémentaires, comme cela été fait dans les études pivots. Cela peut poser un problème puisqu’on assiste à une baisse du DFG de l’ordre de 10 % à 30 % qui dépend de l’état d’hydratation du patient. Cependant, les auteurs rappellent que c’est chez ces patients que la préservation rénale a été observée. Il faut donc surveiller la fonction rénale après l’initiation du traitement chez ces patients fragiles. Par la suite, l’utilisation d’un iSGLT2 ayant l’AMM dans la MRC est nécessaire, avec un suivi de la fonction rénale et de la kaliémie.
L’utilisation de la finérénone en association avec les iSGLT2 n’a été étudiée que dans des sous-groupes et semble prometteuse. Dans les essais thérapeutiques et les études en sous-groupes, l’utilisation conjointe d’un iSGLT2 et d’un antagoniste minéralocorticoïde non stéroïdien est associée à une moindre augmentation de la kaliémie que sous finérénone seule. Dans tous les cas de figure, il convient d’être prudent dans le maniement de ces trois classes thérapeutiques chez les patients fragiles avec une MRC, en respectant les AMM et en surveillant kaliémie et fonction rénale. N’oublions pas que l’avis d’un néphrologue est à envisager pour un DFG inférieur à 45 ml/min et/ou une protéinurie notamment. Un essai thérapeutique est en cours pour tenter de démontrer l’utilité et la sécurité de cette bithérapie (empagliflozine et finérénone ensemble versus chacune des deux molécules) en association aux bloqueurs du système rénine-angiotensine (essai CONFIDENCE).
En conclusion
Depuis les années 1990, les bloqueurs du système rénine-angiotensine ont montré leur utilité dans la réduction de la dégradation de la fonction rénale chez le patient diabétique de type 2, tandis que les années 2010 ont vu l’avènement des iSGLT2 dans cet objectif. Les anti-minéralocorticoïdes non stéroïdiens (la finérénone en France) sont en attente de prix en France.
Les auteurs concluent en encourageant les endocrinologues, les néphrologues et les cardiologues à utiliser une approche graduée dans la MRC et ils vont même jusqu’à la proposer quel que soit le degré d’atteinte rénale jusqu’à un DFG de 25 ml/min/1,73 m².
Cependant, dans la vraie vie, nous devrons respecter les AMM, les indications et les contre-indications de chaque classe thérapeutique, et adapter la stratégie au profil du patient.
Résumé et commentaires (en violet dans le texte) réalisés par le Pr Béatrice Duly-Bouhanick, endocrinologue, diabétologue, hypertensiologue (CHU Rangueil, Toulouse) et présidente de la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA).
Référence
1. Naaman SC, Bakris GL. Diabetic nephropathy: update on pillars of therapy slowing progression. Diabetes Care. 2023;46(9):1574-86.