
Pour une prise en charge holistique de la maladie rénale chronique chez le patient diabétique de type 2 : le concept de la triple protection néphro-cardio-métabolique
En France, la prévalence de la maladie rénale chronique (MRC) est estimée entre 30 % et 40 % chez le patient diabétique (1), d’où l’importance de son diagnostic et d’une prise en charge précoces, sans inertie thérapeutique, pour en prévenir la progression. D’autant qu’il existe actuellement des traitements capables d’assurer une triple protection néphro-cardio-métabolique.
Le diagnostic de MRC repose sur un examen sanguin et urinaire – le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) et le rapport albuminurie/créatininurie (RAC) – qui devrait être pratiqué au moins une fois par an chez le patient diabétique.
Les valeurs qui doivent alerter sont un DFGe inférieur à 60 ml/min et/ou un RAC supérieur à 30 mg/g.
Deux remarques sur cet examen :
- Le RAC remplace la mesure du rapport protéinurie/créatininurie sur les urines des 24 heures et peut être pratiqué sur un échantillon d’urine à n’importe quel moment de la journée.
- Le DFGe diminuant progressivement avec l’âge, une valeur inférieure à 60 ml/min à 65/70 ans n’est pas forcément alarmante.
Les objectifs du traitement chez un patient diabétique de type 2 avec MRC
Les objectifs tensionnels diffèrent selon les recommandations, ceux du KDIGO étant très bas (120/70 mm Hg) et ceux de l’EHS (European Hypertension Society) de 2023 proposant, comme la plupart des autres recommandations, des valeurs inférieures à 80/130 mm Hg, avec un objectif idéal autour de 120/70 mm Hg à ne pas dépasser.
Il faut, en premier lieu et c’est important dans tous les cas, mettre en place les mesures hygiéno-diététiques appropriées, notamment la limitation des apports sodés.
Ensuite, tout dépend si le DFGe est inférieur ou supérieur à 30 ml/min.
Pour un DFGe supérieur à 30 ml/min, il faut impérativement prescrire un bloqueur du système rénine-angiotensine (IEC ou ARA2) associé, soit à un inhibiteur calcique (dihydropyridine), soit à un diurétique, de préférence thiazidique ou apparenté. Les posologies doivent être augmentées aux doses optimales tolérées jusqu’à l’obtention d’un bon contrôle tensionnel et, sans tarder, en évitant l’inertie thérapeutique.
Si l’observance est bonne et que les objectifs tensionnels ne sont pas atteints, il faut passer d’une bithérapie à une trithérapie associant bloqueur du système rénine-angiotensine, inhibiteur calcique et diurétique, en privilégiant les thérapies fixes pour faciliter l’observance.
Et ce n’est qu’en cas d’hypertension artérielle résistante qu’il faudra ajouter soit la spironolactone, soit un autre bloqueur comme un anti-aldostérone, un bêta-bloquant ou un alpha-bloquant, soit un agent central. Un avis spécialisé est, à ce stade, recommandé.
Pour un DFGe inférieur à 30 ml/min, la stratégie est la même, mais le diurétique utilisé sera un diurétique de l’anse, car sous un DFGe de 30 ml/min, les diurétiques thiazidiques seraient moins efficaces et n’ont plus l’AMM à ce stade. Là encore, lorsque la bithérapie ne permet pas d’obtenir le résultat escompté, il faut passer à la trithérapie.
Dans tous les cas, il est recommandé d’utiliser un iSGLT2, qui a l’AMM dans cette indication si le DFGe est supérieur à 20 ou 25 ml/min et si un bloqueur du système rénine-angiotensine a été prescrit, sauf si le patient est déjà sous iSGLT2 pour une autre raison, diabète ou insuffisance cardiaque par exemple. Les iSGLT2 ont un effet néphroprotecteur prouvé sur le DFGe et l’albuminurie que le patient soit diabétique ou non. Et du fait de la protection cardiovasculaire qu’ils confèrent, ils ont l’AMM chez le patient avec une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection altérée ou conservée ou chez le patient, notamment diabétique, à très haut risque cardiovasculaire et ce, quel que soit le niveau d’albuminurie.
Quelques règles en pratique
Il ne faut pas hésiter à mettre en place ces traitements et à les associer si les objectifs ne sont pas atteints, car l’inertie thérapeutique est la pire ennemie en ce qui concerne le pronostic de la MRC et les complications cardiométaboliques.
En cas de MRC, certains seuils doivent faire adresser le patient à un néphrologue car, d’une façon générale, le recours au néphrologue est bien trop tardif alors que des traitements existent désormais pour freiner la dégradation de la fonction rénale et une démarche auprès des pouvoirs publics est en cours pour améliorer cette situation. Ainsi, un RAC supérieur à 30-300 mg/g et un DFGe inférieur à 45 ml/min sont deux seuils à retenir, qui doivent nous imposer un avis néphrologique.
La mise en place d’un dépistage et une surveillance de la fonction rénale est la règle. Pourtant, on estime qu’en France seulement 25 % des patients diabétiques bénéficient d’un RAC annuel, alors qu’il fait partie du bilan annuel de surveillance de la fonction rénale.
Autre point, en présence d’une anémie chez un patient diabétique, il faut s’assurer qu’elle n’est pas en rapport avec une néphropathie et la fonction rénale doit être connue.
Pour résumer, chez un patient diabétique avec MRC, toujours commencer par mettre en place les mesures hygiéno-diététiques, faire appel aux classes thérapeutiques validées dans la préservation de la fonction rénale, ne pas faire preuve d’inertie thérapeutique, veiller à l’observance des traitements prescrits à bon escient et surveiller, notamment en n’oubliant pas de prescrire un RAC tous les ans et, enfin, savoir quand adresser au néphrologue.
Propos recueillis par le Dr Catherine Bouix auprès du Pr Béatrice Duly-Bouhanick,
endocrinologue, diabétologue et hypertensiologue, CHU Rangueil, Toulouse.
Références
- Olié V, Cheddani L, Stengel B et al. Prévalence de la maladie rénale chronique en France, Esteban 2014-2016. Nephrol Ther. 2021;17(7):526-31.